Identifier les critères qui déterminent la localisation du siège de direction effective de l'entreprise
Dans un contexte où les fonctions de direction au sein d’un groupe sont de plus en plus fréquemment réparties entre plusieurs entités situées dans des pays différents, se pose la question de savoir dans quel pays se situe le siège de direction effective de l’entreprise tête de groupe.
Le siège de direction effective correspond au lieu où sont prises les décisions stratégiques et commerciales essentielles pour la conduite des affaires d'un groupe. Bien qu’un groupe puisse avoir plusieurs sièges de direction, il n’existe qu’un seul siège de direction effective, lequel constitue le critère déterminant pour établir la résidence fiscale de l’entité tête de groupe.
Cet article analyse les enjeux fiscaux liés à la localisation du siège de direction effective et met en lumière les critères retenus par la jurisprudence récente pour en établir la localisation du siège de direction effective d’une entreprise.
La localisation du siège de direction effective soulève des enjeux fiscaux majeurs, en particulier :
Le pays dans lequel se trouve le siège de direction effective permet de déterminer sa résidence fiscale et donc le lieu d’assujettissement à l’impôt sur les sociétés.
Les investigations de l’administration fiscale visant à déterminer le siège de direction effective peuvent conduire à la qualification d’un établissement stable, exploité dans les locaux d’une entité du groupe en France, constituant de fait le siège de direction effective du groupe. Cette qualification entraîne non seulement des rappels d’impôt sur les sociétés sur une période pouvant aller jusqu’à 10 ans (délai de prescription applicable en cas d’activité occulte), mais également une majoration de 80 % des impôts dus.
Une décision du Conseil d’Etat du 15 mars 2023 met en lumière comment la localisation du siège de direction effective influe directement sur le traitement fiscal des dividendes perçus par ses actionnaires.
Dans sa décision, le Conseil d’État a établi que la localisation du siège de direction effective était en France, et non au Luxembourg, modifiant ainsi la situation fiscale de l’actionnaire de cette société. Celui-ci passe du statut d’associé résident fiscal français d’une société résidente au Luxembourg à celui d’associé résident fiscal français d’une société ayant sa résidence fiscale en France. Cette requalification a une incidence sur l’imposition des dividendes perçus par cet actionnaire, qui deviennent des dividendes de source française et non plus étrangère (CE, 10e et 9e ch., 15 mars 2023, n° 449723, Sté CA Animation).
L’administration fiscale française ne se limite pas aux apparences formelles, telles que le siège social de l’entreprise déclaré dans les statuts. Elle privilégie une approche réaliste fondée sur des éléments factuels pour déterminer le siège réel d’une entreprise.
Pour se faire, elle a recours de plus en plus à des visites domiciliaires (appelées aussi perquisitions fiscales) qui lui permettent de collecter un certain nombre d’éléments qui constitueront un faisceau d’indices, sur lesquels elle se fonde pour déterminer la localisation du siège de direction effective de l’entreprise.
Les juridictions françaises adoptent également une approche factuelle en s’appuyant sur un ensemble de critères pour localiser le siège de direction effective. Parmi ces critères figurent :
Voici un aperçu de trois décisions récentes en matière de localisation du siège de direction effective et des critères retenus permettant de requalifier la résidence fiscale d’une entreprise.
Le transfert du siège social d’une société holding à l’étranger (au Luxembourg) n’entraîne pas nécessairement le transfert de son siège de direction effective.
Dans cette affaire, l’administration fiscale française, suivie par les juges, a estimé que la société avait conservé son siège de direction effective en France, en s’appuyant sur les éléments factuels suivants:
Eléments pris en compte par les juges
Bien que les conseils d’administration et les assemblées générales des actionnaires se soient tenus au Luxembourg, cela n’est pas suffisant pour démontrer que le siège de direction effective était au Luxembourg.
Cette position est en ligne avec une jurisprudence antérieure du Conseil d’Etat (CE, 7 mars 2016, n°371435, Sté Compagnie internationale des wagons-lits et du tourisme), où il a été jugé que le lieu de tenue des conseils d’administration ne permet pas, à lui seul, de justifier la localisation du siège de direction effective. Dans cette affaire, le rapporteur public avait estimé que : “s’il suffisait à une holding , à l’heure du Thalys, de délocaliser la tenue de ses conseils d’administration dans le pays de son choix pour y délocaliser aussi ses bénéfices imposables, c’est l’optimisation fiscale, plus que la sécurité juridique, qui en sortirait grandit”.
La société luxembourgeoise disposait uniquement :
- d’un local de 13 m² loué auprès d’une société de domiciliation,
- d’un administrateur luxembourgeois appartenant à cette même société de domiciliation,
- d’un comptable luxembourgeois, salarié de cette même société de domiciliation, qui n’intervenait que 10 heures par semaine.
Même pour une holding dont l’activité nécessite peu de moyens, une installation matérielle minimale et une implication humaine sont requises pour exercer les fonctions décisionnelles, administratives et financières nécessaires.
La gestion financière, comptable et fiscale de la société au Luxembourg était assurée depuis la France. A titre d’exemple, les ordres de mouvement de titres et les virement bancaires de la société luxembourgeoise étaient émis depuis la France, les déclarations de TVA, bien que déposées au Luxembourg, étaient réceptionnées par un cabinet comptable situé en France avant leur dépôt au Luxembourg.
Les deux cofondateurs et administrateurs de la société luxembourgeoise étaient domiciliés en France. Ils géraient la société luxembourgeoise depuis son établissement en France en même temps que les autres sociétés du groupe.
La Cour administrative d’appel (CAA) de Douai a confirmé la requalification du siège de direction effective d’une société luxembourgeoise, au motif que les décisions stratégiques et la gestion opérationnelle de cette société étaient en réalité exercées depuis la France.
Contexte de l’affaire
A la suite d’une visite domiciliaire (ou perquisition fiscale) effectuée dans les locaux de la société française, l’administration fiscale a considéré que la société luxembourgeoise disposait en France d’un établissement stable. Cet établissement stable, exploité dans les locaux de la société française, exerçait une activité de gestion des marques détenues par la société luxembourgeoise.
Les juges ont estimé que le siège de direction effective de la société luxembourgeoise se trouvait en réalité en France. Par conséquent, la société luxembourgeoise se trouvait redevable de l’impôt sur les sociétés et de la TVA en France. Une majoration de 80% a également été appliquée dans le cadre de la découverte d’une activité occulte.
Eléments pris en compte par les juges
Les juges de la Cour administrative d’appel de Douai se sont appuyés sur des éléments factuels, notamment ceux saisis lors de la perquisition fiscale de la société française.
La société luxembourgeoise disposait uniquement d’une adresse de domiciliation au Luxembourg et d’un bureau de 30 m². Elle n’avait pas d’employé au Luxembourg, se contentant de recourir à du personnel mis à sa disposition pour des tâches administratives et comptables.
De plus, la tenue des conseils de gérance au Luxembourg n’a pas été jugée comme étant un élément suffisant pour établir que le siège de direction effective s’y trouvait, conformément à la jurisprudence du Conseil d’État.
Contrairement à ce qu’affirmait la société luxembourgeoise, selon laquelle la société française se limitait à une exploitation « passive » des marques (encaissement de redevances), les éléments collectés lors de la perquisition fiscale ont révélé une implication active de la société française dans la gestion des marques, le développement des franchises existantes et la recherche de nouveaux franchisés.
Les éléments saisis lors de la perquisition fiscale ont mis en évidence l’organisation de réunions de communication avec l’ensemble des directeurs et des franchisés ainsi que l’existence d’un “plan de communication comprenant des actions et des objectifs pour développer et pérenniser la clientèle d’une marque du groupe”. Ces éléments ont permis de démontrer que les décisions stratégiques relatives au développement des marques étaient prises en France et non au Luxembourg.
D’autres éléments saisis dans les locaux français ont montré que la gestion quotidienne de la société luxembourgeoise était également assurée depuis la France, notamment :
- des factures émises au nom de la société luxembourgeoise,
- des relevés bancaires de la société luxembourgeoise
- des contrats de licences de marques stockés dans une pochette, relatifs aux relations entre la société luxembourgeoise et ses franchisés.
Ces éléments confirment que la société française assurait non seulement la gestion opérationnelle, mais aussi le suivi comptable et administratif des franchises.
La Cour administrative d’appel (CAA) de Paris a rendu une décision semblable à celle de la CAA de Douai du 17 août 2023 (cf ci-dessus), confirmant que le siège de direction effective d’une société étrangère, en l’occurrence une société de droit anglais, était situé en France.
Contexte de l’affaire
À l’issue d’une perquisition fiscale effectuée dans les locaux d’une société de droit anglais ainsi que dans ceux des sociétés françaises du groupe, l’administration fiscale française a conclu que le siège de direction effective de la société britannique se trouvait en France et non au Royaume-Uni. Cette conclusion repose sur l’absence de substance économique au Royaume-Uni et la centralisation de la gestion et des décisions au sein d’une société du groupe en France, constituant le siège de direction effective du groupe.
En conséquence, la société britannique a été assujettie à l’impôt sur les sociétés et aux impôts locaux en France. Une majoration de 80 % a également été appliquée en raison de la découverte d’une activité occulte.
Eléments pris en compte par les juges
La décision repose sur des éléments factuels démontrant
La société britannique était domiciliée dans les locaux de son expert-comptable au Royaume-Uni. Elle ne disposait que de très peu, voire d’aucun salarié pour exercer son activité.
L’administration fiscale a qualifié la société de simple “boîte aux lettres”, invoquant son absence de substance au Royaume-Uni.
Les documents saisis lors de la perquisition fiscale ont permis d’établir que :
- les décisions relatives à la distribution des dividendes et aux augmentations de capital étaient prises et signées en France;
- la stratégie commerciale de la société britannique était élaborée intégralement en France;
- tous les dirigeants de la société britannique étaient résidents en France et aucune preuve n’a démontré leur présence effective au Royaume-Uni pour la prise de décisions stratégiques ou la gestion quotidienne;
- les dirigeants n’ont reçu que des rémunération intermittentes et limitées de la société britannique.
Les documents saisis dans les locaux français du groupe ont confirmé que la gestion courante de la société britannique et ses relations avec les clients, les fournisseurs et les banques était réalisée depuis la France. Ces éléments comprenaient :
- des contrats, factures, et documents comptables et juridiques,
- des correspondances avec l’administration fiscale britannique,
- des lettres de mission adressées aux commissaires aux comptes de la société britannique.
Jusqu’en 2017, l’OCDE considérait que le siège de direction effective d’une entreprise était “le lieu où sont prises au fond les décisions clés sur le plan de la gestion et sur le plan commercial qui sont nécessaires pour la conduite des activités de l’entité dans son ensemble. Tous les faits et circonstances pertinents doivent être pris en compte pour déterminer le siège de direction effective.” (Commentaires OCDE, C (4) n°23). La notion de siège de direction effective était un critère utilisé pour déterminer la résidence fiscale d’une entreprise, en cas de désaccord entre deux Etats.
Depuis 2017, le modèle de convention fiscale de l’OCDE ne fait plus référence au siège de direction effective des entreprises mais recommande de régler les conflits de résidence par une procédure amiable, en prenant en compte plusieurs critères.
Cette approche est reprise à l’article 4 de l’Instrument multilatéral.
La France n’a pas adopté la formulation prévue par l’instrument multilatéral. Elle continue de privilégier l’application du critère du siège de direction effective pour déterminer la résidence fiscale d’une entreprise.
Par ailleurs, certaines conventions fiscales conclues par la France prévoient explicitement la définition du siège de direction effective, comme les conventions franco-américaine et franco-allemande.
La détermination du siège de direction effective est essentielle pour établir la résidence fiscale d'une entreprise. Il est donc nécessaire de s’assurer de la localisation des personnes responsables des décisions stratégiques et de veiller à ce que l’entreprise ait une substance suffisante. Cette substance se caractérise par des moyens humains et matériels adéquats, permettant à l’entreprise d’exercer les fonctions nécessaires à son activité.